On dit qu’il n’y a pas de pire destin que d’être en couple avec un artiste. Mais que se passe-t-il lorsqu’un créatif en aime un autre ? Tomber amoureux de la photographie est une chose, tomber amoureux en faisant de la photographie en est une autre. Leur histoire s’ouvre sur un studio de South Beach à Miami en 2005. Trois mois plus tard, ils sont mariés.
Vous vivez et travaillez ensemble. Les couples célèbres de l’histoire de l’art ont souvent une vie mouvementée, et vous ?
BJ : Je crois que la beauté naît quand des gens se souciant l’un de l’autre créent ensemble. Pour les couples d’artistes, ça fonctionne à 100% ou pas du tout. Nous nous épanouissons à travers l’autre et n’avons pas besoin de parler en studio, nous appelons cette télépathie le « brain suck ». Nous partageons le même univers esthétique, souhaitons faire passer les mêmes messages. Notre travail est une déclaration d’amour.
Comment expliquer votre complémentarité du point de vue personnel et professionnel ?
Richeille : La créativité ! Elle permet de vivre une vie plus grande, plus heureuse, amplifiée et follement intéressante. Notre créativité se nourrit de l’énergie de l’autre, en préparant le dîner, en regardant un film, en discutant de politique et de religion. Elle fait briller les étoiles cachées en nous.
Avez-vous une photo favorite ?
Richeille : En fait, c’est un tableau – Le supplice de Jane Grey – de Paul Delaroche à la National Gallery de Londres. Il me touche en tant que témoignage de la nature humaine. Sombre, dramatique, mais délicat, il laisse place à l’émotion dans la tristesse, la pitié et l’amour étrange.
Qu’est-ce qui fait qu’une photo est mauvaise selon vous ? Et au contraire, qu’est-ce qu’une bonne photo ?
Richeille : Je ne pense vraiment pas qu’il y ait une règle pour faire des photos. Jerry Saltz a dit : « L’art est une façon de montrer au monde extérieur ce qu’est votre monde intérieur ». Si vous aimez la pornographie, cela devrait se refléter dans votre art. Si vous aimez les fleurs et les couchers de soleil, alors qu’il en soit ainsi. Pour faire une bonne photographie, montrez-moi juste ce que vous ressentez, pas ce à quoi vous ressemblez. Donnez-moi un peu de mystère ! La photographie est l’une des formes d’art les plus accessibles, mais aussi la plus difficile à réaliser.


Suite à la crise de 2008, vous avez fait un road trip aux États-Unis, poussés par un manque de commandes. La série que vous en avez tirée, « Circumstance », doit-elle être considérée comme un témoignage ?
BJ : Notre grande percée dans le monde de l’art est née de l’effondrement du rêve américain. L’art est une corvée écrasante et un merveilleux privilège. Nous étions terrifiés, mais courageux. Pour ce road trip en camping-car, nous avions un budget très serré et le prix de l’essence était à son plus haut niveau. Pourtant, nous avions ce rêve de traverser le pays et de simplement faire des photos pour nous-mêmes, sans clients, sans conditions. Cette liberté offre un droit de création. En étant au cœur du sujet, on s’autorise à faire valoir sa voix et donner sa vision des choses.
Richeille : Quitter sa zone de confort, son environnement familier, un lieu sûr et partir vers l’inconnu. Pour y arriver, il faut avoir confiance, compter sur son instinct, le laisser nous déplacer et nous guider afin de créer et capturer le moment.
Votre série « Spies, Lies and Saboteurs », rend hommage aux héroïnes anonymes qui se sont sacrifiées pour combattre la barbarie nazie. Les photos sont très belles, très fortes, mais pas faciles à accrocher dans son salon ?
BJ : L’important, c’est « le voyage, pas la destination », dit-on. L’art est tellement subjectif, ce que l’on pourrait trouver offensant ne l’est pas forcément pour un autre. Toutes les séries que nous avons réalisées sous le nom de Formento + Formento sont des idées qui viennent frapper à notre porte, elles doivent interpeller ou rendre hommage. On peut choisir de les ignorer et elles seront alors traitées par un autre artiste.
Richeille : L’intention n’est pas de faire un joli tableau, mais une photo qui vous émeut et vous fait regarder le monde d’une autre manière.