Nous sommes en 2019, comment est perçue l’homosexualité aujourd’hui ?
L’homosexualité a toujours une image négative, surtout chez certains jeunes. Toutes religions confondues, dès qu’il y a un schéma traditionnaliste avec une vision archaïque du rôle des hommes et des femmes, l’homophobie est sous-jacente, voire revendiquée. On doit déconstruire la hiérarchisation qui prévoit l’homme au sommet de la pyramide, en dessous la femme et tout en bas les LGBT.
Comment est né Le Refuge ?
Le Refuge est un service de Dialogai, cette association recevait des demandes récurrentes de jeunes en rupture avec leur famille ou en difficulté à l’école. Dialogai a travaillé avec l’Université de Zurich sur la vulnérabilité des jeunes LGBT, avant de mettre à disposition des travailleurs sociaux en s’inspirant de la France tout en privilégiant les groupes de parole à l’hébergement. Nous ne disposons que de trois lits et sommes donc très limités. On n’accueille pas tous les LGBT, mais ceux qui sont en difficulté avec leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Ils sont logés jusqu’à six mois. L’hébergement est un outil parmi d’autres à notre disposition, ce n’est pas une fin en soi.
Quel âge ont les jeunes qui frappent à votre porte ?
En moyenne entre 16 et 22 ans, certains ont jusqu’à 30 ans. Ils viennent en matière de questionnement, lorsqu’ils besoin de faire leur coming-out où lorsque cette étape fondamentale s’est mal passée. Certains parents de très jeunes enfants, 6 ou 7 ans, se posent des questions sur l’identité de genre de leur enfant et n’hésitent pas à prendre rendez-vous pour s’informer. Qu’ils soient très jeunes, voire enfant, ou plus âgés le travail est le même : Il faut faire avancer la famille sur sa propre compréhension de la thématique.
Alexia, tu es éducatrice et coordinatrice du Refuge, qu’est-ce que ça représente concrètement ?
En tant que coordinatrice, j’ai un poste très polyvalent. J’ai monté le projet dès le départ. Il n’y avait rien, pas même les locaux. J’ai créé le réseau alors que je ne connaissais personne puisque je venais de France. J’ai écrit le projet institutionnel, les contrats de séjour, le règlement intérieur. Pour développer un tel projet, il faut une belle part de créativité ! C’est passionnant de savoir que l’on a carte blanche. J’ai mis en place l’organisation du Refuge, j’ai apporté mon expérience et la partage avec l’équipe. Ma philosophie, c’est de travailler en libre adhésion et d’être centrée sur la personne. Ce n’est pas si évident, il faut se départir de ses projections, de ce que l’on aimerait voir, de ce que l’on pense qui devrait être. Le mot conseil n’existe pas ici.
Quel est le rôle des membres de ton équipe ?
Nous ne sommes pas des thérapeutes, mais des médiateurs entre les jeunes et leur famille. On les soutient afin qu’ils disposent de tous les éléments et des outils disponibles dans le réseau afin qu’ils se sentent bien avec leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. On ne pose pas de diagnostic, mais on sait que sans accompagnement le jeune pourrait prendre des risques pour sa santé, notamment les personnes trans qui restent la population la plus fragile. Un sur trois passe à l’acte. Notre compétence, c’est l’expérience du dialogue avec les parents.
Comme se déroulent les séances de parole entre parents ?
En intégrant les groupes de parole, les parents sont soutenus par des personnes partageant le même vécu. Ils ne se sentent plus seuls. C’est souvent très émouvant. Je me souviens qu’un jour ils pleuraient tous, mais la maman d’un jeune trans, pour qui ça se passe plutôt bien, est arrivée tout sourire et très en retard. Abasourdis par son énergie, les parents ont sorti le nez de leur mouchoir et l’ont dévisagée. Elle pioche alors dans les biscuits, éclate de rire et leur dit : « mais oui, c’est possible d’aller bien en étant parent de trans ! »
Qu’est-ce qui vous donne l’énergie de continuer ?
Un seul « merci » ou un « ça va mieux » et je repars gonflée à bloc. La semaine dernière, j’ai fait une sensibilisation plutôt intense avec 45 élèves. Quand je suis arrivée, trois garçons m’ont dit : « nous le PD, on les brûle ! » On ne s’y fait pas, mais ce sont des phrases que nous entendons régulièrement. En revanche, à la fin de la séance, une très jeune fille m’a dit : c’est super que vous nous parliez de tout ça, on pourra en discuter autour de nous maintenant ! » Mon intervention avait entrouvert une porte à laquelle certains n’ont pas accès. C’est une victoire énergisante !
Toujours motivée ?
Bien sûr ! Nous sommes un service nouveau et unique en Suisse, c’est très enthousiasmant. Les jeunes peuvent venir de 10 heures à 20 heures, comme dans une maison de Quartier. Ils doivent se sentir bien chez nous. Nous développons une équipe de bénévoles polyglottes et rencontrons des personnes merveilleuses prêtes à s’engager. Le moteur du Refuge, c’est de voir des adultes en devenir d’abord renfermés et mutique qui s’ouvrent à la vie et s’épanouissent.
Vous allez encore plus loin en rencontrant les mineurs auteurs d’actes homophobes ou transphobes.
Nous sommes précurseurs dans ce domaine. Nous travaillons en étroite collaboration avec la police qui nous a communiqué qu’une vague d’agressions commises par des mineurs sur des personnes homosexuelles avait déferlé sur Genève. Il est important de savoir que l’homophobie n’est pas reconnue comme un facteur aggravant. Forts de notre expérience des placements pénaux, nous avons proposé une prestation aux juges du tribunal des mineurs. Ils nous ont suivis en imposant une sanction aux agresseurs en plus de leur peine, c’est une belle victoire pour nous. Ils doivent aujourd’hui suivre trois modules de deux heures au sein du Refuge : un travail d’intérêt général ou à la réalisation d’une œuvre artistique en termes de réparation de la communauté, un entretien de sensibilisation afin de déconstruire leur vision homophobe et de faire le lien avec leur acte puis, un module très fort émotionnellement puisqu’il s’agit pour les agresseurs de rencontrer une personne homosexuelle ou trans. Il est fondamental de créer du lien afin que les auteurs de ces actes voient leur victime comme un être humain, même s’ils nous ont tous dit « si j’avais été seul, je ne l’aurais jamais fait. »
